La comptabilité durable : une alternative pour le futur ?

 

Bien que conscient de l’urgence climatique, les suisses ont refusé de mettre la main au porte-monnaie. Si une courte majorité se félicite, les partisans de la taxe CO2, parmi lesquels des représentants des milieux économiques, sont abattus. Pour répondre aux enjeux majeurs des prochaines décennies, il s’agira pourtant de modifier notre société de consommation. Mais si ce douloureux changement sociétal doit s’accompagner du paiement d’une taxe, le peuple n’hésite pas à mettre les pieds au mur. C’est un des enseignements que nous pouvons tirer de la votation du 13 juin 2021.

 

Plutôt que de taxer le consommateur, est-il plus judicieux de favoriser les investissements durables ? L’allocation des milliards placés sur les marchés financiers à des buts et entreprises susceptibles de favoriser la transition écologique est une piste privilégiée par de nombreux acteurs économiques. La finance durable est sur toutes les lèvres, surtout que ses performances et son taux de croissance sont significativement positifs. Mais pour quel impact écologique ? En matière de finance durable, le greenwashing est omniprésent et des travaux menés à l’Université de Zürich tendent à démontrer son faible impact. Le dividende annuel net encaissé par l’actionnaire demeure une priorité supérieure aux enjeux environnementaux ; le récent limogeage du « PDG durable » du groupe Danone en est une démonstration flagrante.

 

La piste de la comptabilité durable

 

Si le peuple met les pieds au mur, que les entreprises ne jouent pas le jeu et que l’Etat peine à s’imposer, comment atteindre les objectifs de développement durable fixés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) ? Avec une comptabilité durable. Théorisée à l’Université de Paris Dauphine depuis le début des années 2000, elle propose de modifier l’ADN du système capitaliste à l’origine de nos maux actuels. Il est à ce stade important de souligner que le système comptable est conçu pour soutenir et alimenter l’ordre financier que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Les lois comptables paraissent cependant si barbantes, complexes, invariables et communément admises que l’opportunité de redistribuer ces cartes semble, à tort, totalement inintéressant. Or, l’histoire de la comptabilité et du droit des sociétés révèlent que ces lois aussi s’adaptent aux Princes et aux époques. Dès lors, pourquoi ne pas se pencher sur une modification des standards comptables en vue d’une nouvelle ère économique durable ?

Selon les normes comptables actuelles, la plupart des coûts environnementaux et sociaux ne sont pas intégrés dans les comptes d’entreprises. Par exemple, pour baisser ses coûts de production, il est relativement évident de délocaliser certaines tâches dans un pays aux législations peu restrictives. L’impact pour l’environnement et la société est néfaste mais l’impact sur le résultat de l’entreprise est (très) profitable. En élargissant certaines définitions et notions comptables, le coût de nombreux éléments, jusqu’à présent ignorés ou déplacés, pourrait être réintégrés aux rapports de gestion (soit le bilan, le compte de résultat et les annexes). Les fondements capitalistes de l’évaluation de la performance d’entreprise demeureraient. Cependant de nouvelles valeurs davantage complètes seraient intégrées aux comptes pour permettre d’apprécier la performance de l’entreprise sous l’angle de la durabilité.

 

La coût de la durabilité

 

Il est déjà possible de déployer des méthodes permettant d’intégrer un « coût de la durabilité » en comptabilité. En outre, le droit comptable suisse est suffisamment ouvert pour permettre une mise en œuvre de certaines de ces pratiques, notamment par le biais des provisions et des réserves. Pour accélérer la transition écologique, il s’agirait aujourd’hui d’apporter quelques modifications au Code des Obligations (CO) et à la Loi Fédérale sur l’Harmonisation des Impôts (LHID) afin d’activer des leviers supplémentaires. Cette démarche incrémentale serait certainement mieux tolérée par le peuple et s’avèrera assurément plus pragmatique que les projets européens de lois de taxonomie de la finance durable et de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. En faisant évoluer la base des ses standards comptables et fiscaux, la Suisse pourrait jouer une carte singulière et pratique dans le domaine de l’économie et de la finance durable.

 

Spada Fabrice

Maître d’enseignement hes
Directeur financier

 

Publié dans Le Temps, le 29 juin 2021